Surdiagnostic, surtraitement et surmédicalisation

Aubaines et tourments de la surmédicalisation

Publié par Luc Perino, médecin généraliste, humeur du 07/07/2019

La position des médecins par rapport au problème de la surmédicalisation est ambiguë puisqu’ils en sont à la fois les acteurs, les bénéficiaires, et parfois, paradoxalement, les victimes.

Chercheurs, hospitaliers ou libéraux, ils sont des complices, actifs ou naïfs, de la stratégie d’extension du marché sanitaire, car elle leur est globalement profitable. Upton Sinclair a bien résumé ce fait propre à toutes les professions :

“Il est difficile de faire comprendre quelque chose à quelqu’un quand son salaire dépend précisément du fait qu’il ne la comprenne pas.”

La surmédicalisation est un fabuleux contrat de nonchalance pour le médecin :

  • actes de routine sur des patients en bonne santé,
  • simples contrôles de pathologies dites “chroniques”,
  • actions ponctuelles dans des réseaux de soins,
  • interventions faciles dans le cadre de dépistages organisés.

Bref, des actes de plus en plus courts et simples avec un investissement intellectuel et physique de moins en moins important, tout cela au même tarif. N’est-ce pas la finalité de tout commerce ?

Pourtant, nous voyons de plus en plus de médecins, particulièrement des généralistes, s’intéresser au problème de la surmédicalisation de la société. Ces praticiens souffrent de ce que le que médecin et philosophe Alain Froment nommait une “tension axiologique”. L’axiologie est l’étude des valeurs morales et éthiques.

Diminuer la morbidité est une valeur positive pour le médecin, l’augmenter est une valeur négative. La surmédicalisation, en créant de la morbidité vécue chez des citoyens qui n’avaient aucune plainte, transforme le médecin en un créateur de morbidité. Cette contradiction est la cause essentielle du malaise.

Le généraliste est le premier à constater, sur le terrain, les dégâts psychologiques du surdiagnostic des dépistages organisés ou les effets secondaires des médicaments prescrits abusivement suite aux manipulations grossières des normes biologiques. Ce spécialiste des soins primaires est aussi aux premières loges pour évaluer les conséquences sanitaires des inégalités sociales ; or cette surmédicalisation devient en elle-même un facteur de sous-médicalisation des plus défavorisés.

Tirer un bénéfice financier de cette dérive sociale est une nouvelle cause de mal être. Et si le médecin tente de sortir de cette trajectoire toute tracée, il risque de déséquilibrer dangereusement son système de valeurs, de brusquer ses patients, de contrarier certains confrères. Il prend finalement le risque d’une marginalisation.

Cette marginalisation, habilement orchestrée par le marché, devient alors un nouveau fardeau pour de nombreux confrères.

Pour un médecin, dénoncer les dérives de la surmédicalisation, c’est se tirer une balle dans le pied. Ne pas les dénoncer est parfois insupportable au point de loger cette balle dans la tête. Le suicide est une cause importante de mortalité des médecins en activité.

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Moins la science est productrice, plus elle sert de vitrine et de prétexte

Expertise de l’échec

Publié par Luc Perino, médecin généraliste, humeur du 30/06/2019

Un historien téméraire qui voudrait résumer l’histoire de la science médicale en un seul tableau ferait deux colonnes : celle des victoires à gauche (arbitrairement) et celle des échecs à droite (avec le même arbitraire). (On peut intervertir les colonnes pour ceux qui ont une susceptibilité politique paranoïaque).

Ce compendium ne concernerait évidemment que la santé publique, car si les cas individuels sont une inépuisable source de romans médicaux, ils ont peu d’intérêt pour l’histoire de l’épidémiologie.

Les critères du choix ne devraient pas être mièvres ou ambigus, sinon, cette audacieuse dichotomie perdrait de sa pertinence. Il faudrait s’en tenir à un seul critère, brutal, grossier, incontestable : celui de la persistance ou de la disparition de la maladie dans le paysage.

On mettrait en vrac dans la colonne de gauche les maladies qui ont disparu ou dont on ne meurt plus :

  • peste,
  • pied-bot,
  • placenta prævia,
  • scorbut,
  • crétinisme hypothyroïdien,
  • rhumatisme articulaire aigu,
  • ergotisme,
  • choléra,
  • rachitisme,
  • etc.

Et dans le vrac de droite, celles qui tuent ou qui sont toujours là :

  • cancers du sein,
  • du pancréas
  • ou du poumon,
  • AVC et autres infarctus,
  • addictions,
  • Alzheimer,
  • autisme,
  • schizophrénie,
  • sciatique,
  • dépression,
  • herpès récurrent,
  • obésité,
  • migraine,
  • etc.

Notre historien en conclurait que la médecine s’est révélée incompétente pour toutes les pathologies de la colonne de droite. Voilà qui ne ferait certainement pas plaisir aux experts en charge de ces pathologies, d’autant moins qu’ils ont pris l’habitude d’être « starifiés » par les médias, par les centres de recherche et leurs pourvoyeurs de fonds.

Certes, ces « stars » ont raison de persévérer dans ces domaines où l’on reste ignorant. Le moindre petit frémissement de progrès dans ces monceaux d’incompétence est perçu comme un exploit sans précédent. Néanmoins, sans trop blâmer cette persévérance et cet optimisme, il faut lucidement constater que le domaine médical a ceci de particulier qu’il est le seul où l’échec permanent constitue un label de sérieux et d’expertise. Mieux encore, ces échecs irréductibles sont ceux où le marché prospère de façon éhontée, où les prix sont les plus indécents, où les ministères affichent les programmes les plus irréalistes et où les patients sont les plus captifs.
On peut aller jusqu’à mettre en équations les rapports entre l’intensité de l’échec et le nombre de plans ministériels, de propositions thérapeutiques, le montant des budgets et le temps médiatique. Bref, moins la science est productrice, plus elle sert de vitrine et de prétexte. Les échecs de la médecine sont le terreau de la collusion entre le marché dérégulé et les autorités régulatrices.

Notre historien téméraire, perplexe devant son tableau à deux colonnes, proposerait sans doute de réguler les régulateurs et de secouer les observateurs pour tenter de redonner un sens à l’histoire des sciences biomédicales. Mais un historien ne fait pas l’Histoire, il la constate et tente de la démystifier.

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Un Cancer ? Rien de Plus Normal !

Dépistage de la normalité

Publié par Luc Perino, médecin généraliste, humeur du 18/06/2019

En 2014, résumant les dernières années de recherche, George Johnson osait affirmer « Le cancer n’est pas une maladie, c’est un phénomène ».

Depuis une décennie, la biologie nous confirme que le cancer est l’évolution normale de toutes les lignées cellulaires. Chacune y aboutissant plus ou moins tôt en fonction de son rythme prédéterminé de renouvellement tissulaire (les muqueuses intestinales ou bronchiques plus rapidement que les os ou les neurones)

Dans le même temps les progrès des technologies biomédicales ont permis de détecter les cellules tumorales dans l’organisme. Les micropuces à ADN avaient inauguré le dépistage de l’ADN tumoral dans les années 1990. Désormais, les ADN, ARN, voire protéines ou exosomes tumoraux sont détectables par la dénommée « biopsie liquide », c’est-à-dire une simple prise de sang. Des biopsies de peau chez de jeunes personnes saines révèlent systématiquement des mutations précancéreuses.

Ces nouvelles technologies rendent caduque le vieux débat sur le dépistage systématique, puisqu’à court terme, elles aboutiront à un diagnostic de cancer chez tous les adultes. Les meilleurs experts non normatifs de la cancérologie commencent à déclarer sans détour que les dépistages systématiques sont inutiles, et certains pays commencent à les supprimer des programmes sanitaires. Décision d’autant plus sage que, toujours dans le même temps, les progrès de la chirurgie, de la radiothérapie, et de quelques chimiothérapies ont permis d’améliorer la survie des cancers cliniques.

En dehors de la prévention, les maigres résultats épidémiologiques de la cancérologie depuis un demi-siècle ne résultent pas du dépistage mais du meilleur traitement des cancers cliniquement déclarés.

La bonne question n’est donc pas, pourquoi nous développons des cancers, mais pourquoi nous en avons si peu qui parviennent au stade clinique ? Les mammifères dont nous faisons partie ont mis en place de solides mécanismes de défense pour retarder cet inexorable phénomène.

Enfin, si l’humour peut améliorer notre appréhension de la cancérologie, ne nous en privons pas. Les statistiques montrent que les patients atteints de maladies psychiatriques ou d’Alzheimer ont beaucoup moins de cancers que les autres. Non, il ne s’agit pas d’une chance compensatrice, mais simplement du fait qu’ils font moins de dépistage systématique. La mort par cancer finit par les rattraper, aux mêmes âges que les autres.

Les patients ne sont pas encore prêts à ces réflexions contre-intuitives. Les médecins non plus, y compris la grande majorité des cancérologues. Il en est ainsi dans les domaines où une orchestration dramaturgique formate la pensée. Mais, n’en doutons pas, un jour relativement proche viendra où lorsqu’un sénior en bonne santé viendra consulter avec l’angoissante question de savoir s’il a un cancer, le médecin pourra sereinement lui répondre :

– oui vous en avez certainement plusieurs, mais rassurez-vous, c’est normal…

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Traitements inutiles et sophisme du Concorde

Des patients prosélytes et sans regrets

Publié par Luc Perino, médecin généraliste, humeur du 08/01/2019

Le fait de continuer à investir dans un projet sans espoir est un comportement irrationnel et pourtant très fréquent. Les neuropsychologues le nomment de diverses façons “phénomène du regret” ou des “coûts irréductibles” ou encore “sophisme du Concorde“. En effet, l’histoire de notre avion supersonique franco-britannique en est une parfaite illustration : malgré l’évidence de cet investissement sans retour, on a continué à financer cet avion pour ne pas admettre avoir dépensé tant d’argent pour rien.

Une décision optimale devrait logiquement résulter d’un équilibre entre les bénéfices escomptés et les coûts déjà consentis. C’est hélas rarement le cas. À un extrême, se trouvent les joueurs pathologiques qui ne voient que les bénéfices potentiels, à l’autre, se trouvent les administrations qui ont tendance à surenchérir dans des organisations complexes et dispendieuses dans l’espoir de justifier les coûts passés.

Ces comportements sont bien étudiés en sciences cognitives, et la médecine en offre de belles illustrations. Chaque nouveau plan cancer ou nouveau plan Alzheimer accumule des coûts sans oser affronter l’évidence de l’échec. Les dépistages organisés et bilans de santé prolifèrent malgré des bénéfices de plus en plus faibles. Il faut des décennies pour admettre qu’un médicament, un jour approuvé, puisse être dangereux.

Certes, les administrations et les médecins en portent une grande part de responsabilité, mais ce sont souvet les patients qui amplifient ces dérives comportementales, pouvant aller jusqu’à la dissonance cognitive.
Les psychanalysés ont dépensé des fortunes en se persuadant que tout le temps perdu ne pouvait pas être définitivement perdu. Même dans les pays où les ministères doutent de l’utilité des dépistages organisés de cancer, des patientes amputées d’un sein manifestent activement pour “octobre rose“, le fameux mois de promotion du dépistage. Des patients amputés de la prostate, au lieu d’admettre que leur opération était peut-être inutile, préfèrent rejoindre la manifestation “movember” ou “moustaches de novembre“. Il n’y a pas encore de “mois du cholestérol“, mais les patients traités, parfois victimes d’effets secondaires désastreux, hésitent à supprimer leur traitement, refusant l’idée d’avoir surveillé aussi attentivement leurs analyses et tant souffert pour rien.

Les marchands de diagnostics et de médicaments n’ont pas besoin d’utiliser toutes les sophistications du neuro-marketing pour arriver à leurs fins, il leur suffit de financer et d’organiser le prosélytisme de ces patients convaincus de leurs choix. Ces marchands peuvent s’appuyer confortablement sur les administrations, coutumières du sophisme du Concorde.

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Le scandale Octobre Rose démontré par une radiologue

Le dépistage du cancer du sein est-il non seulement inutile, mais en plus dangereux ?

Vidéo publiée le 14 octobre 2018.

Le Dr Cécile Bour, Médecin Radiologue, a participé au dépistage organisé des cancers du sein, puis a cessé après des années de pratique.

Cécile Bour, médecin radiologue, est la fondatrice de l’association Cancer Rose, qui diffuse de nombreuses informations scientifiques sur les dangers du dépistage organisé du cancer du sein.

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Le dépistage mammographique, ça fait quoi ?

Analyses d’une radiologue sur la mammographie et le dépistage systématique

Vidéo publiée le 5 octobre 2018.

Le Dr Cécile Bour, Médecin Radiologue, a participé au dépistage organisé des cancers du sein, puis a cessé après des années de pratique.

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L’effervescence de préventions et de prédictions médicales, à tort et à travers

La santé nous submerge

Publié par Luc Perino, médecin généraliste, humeur du 07/09/2017

Les plus fréquents thèmes de conversations impromptues de rue et de comptoir sont la météo et la santé, cette dernière a résolument pris le dessus, donnant aux thèmes médicaux une dimension sociale envahissante.

Un jour, le journal de 20h révèle le traitement qui éradiquera le cancer, et le lendemain, il annonce l’épidémie qui exterminera les survivants. Les hormones de jouvence se succèdent à un rythme impressionnant et l’échec de la précédente ne diminue jamais l’enthousiasme pour la suivante. Les étiquettes des produits alimentaires sont devenues de véritables manuels de diététique. Les joggeurs de rue et les cyclistes d’appartement sont bardés de capteurs à l’affût de leur physiologie. Les autotests de diagnostic sont vendus à côté du rayon de l’électro-ménager et votre smartphone vous indique la distance qui vous sépare du plus proche cas d’Ebola, ou votre probabilité de mourir d’un accident vasculaire. Tout est devenu médical, depuis les premières tétées de bébé jusqu’aux dernières érections de papy.

Parallèlement à cette effervescence de préventions et de prédictions, on s’étonne de voir que les médecins sont aussi négligents ou nonchalants. Tout article parlant d’une quelconque maladie commence par affirmer qu’elle est sous-diagnostiquée. En résumé : si les médecins faisaient vraiment bien leur travail, il y aurait beaucoup plus de cancers du sein ou du colon, encore plus d’hyperactivité, bien plus de dépression, d’hypertension, de migraines, de maladie d’Alzheimer ou d’impuissance.

C’est pour cela que les mêmes médias sont alimentés par de nombreux spots publicitaires incitant aux donations pour la recherche médicale. Certes, les généreux donateurs mourront d’une maladie que leur médecin aura diagnostiquée trop tard ; mais on peut espérer que leurs descendants auront la chance de pouvoir bénéficier de diagnostics beaucoup plus précoces. Car à force de martelage, chacun a profondément intégré que plus un diagnostic est précoce, plus le traitement est efficace. Nous pouvons ainsi espérer, grâce à nos généreux dons, que nos enfants, dont la future maladie mortelle (vasculaire, tumorale ou neurodégénérative) sera diagnostiquée dès la naissance, auront enfin des traitements qui leur permettront de survivre plus de 80 ans après le diagnostic de leur terrible maladie…

Mes confrères parviennent à sourire de tout cela lorsqu’ils dominent la grossièreté de cette machinerie mercatique. Ils en souffrent lorsqu’ils n’arrivent plus à gérer les paradoxes de cette surmédicalisation qui les blâme et les nourrit à la fois. Ils en pleurent parfois lorsqu’ils apprennent, par exemple, que 80% des personnes se déclarent prêtes à subir un dépistage, même pour des maladies pour lesquelles n’existe aucun traitement, voire aucune connaissance physiopathologique.

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En médecine, la longue temporalité est cliniquement et scientifiquement très difficile à prouver

Enthousiasme à court et long terme

Publié par Luc Perino, médecin généraliste, humeur du 28/03/2018

Les plus grands succès de la médecine se sont établis dans le court-terme. La chirurgie de guerre a stoppé la gangrène et les hémorragies. Les césariennes ont sauvé des millions de femmes et de nouveau-nés. L’héparine a empêché la mort immédiate par embolie. La vitamine C a guéri le scorbut en quelques jours. Les antibiotiques ont rayé de la carte en quelques mois les morts par syphilis, pneumonie, choléra, méningite ou septicémie. L’insuline a empêché les diabétiques de type 1 de mourir avant l’âge de 20 ans. Les neuroleptiques ont calmé les délires en quelques minutes. La morphine a neutralisé les agonies terminales. Dans cette liste incomplète des triomphes du XX° siècle, la seule exception concerne les vaccins qui ont donné l’audace du long-terme.

Alors, la médecine, forte de tous ces incontestables succès, a osé aborder plus résolument le long-terme. Elle a opté pour les maladies tumorales, neurodégénératives ou cardio-vasculaires, celles qui nous tuent inévitablement un jour.

Mais, en médecine, la longue temporalité est cliniquement et scientifiquement ingrate, car la preuve y est très difficile. Comment prouver, (hors les règles immuables d’hygiène de vie), que ce que nous faisons aujourd’hui sera bénéfique dans 20, 30 ou 40 ans ? Pour ces maladies multifactorielles de la sénescence, la méthode consiste à mettre en lumière un facteur et à en montrer la variation par action médicale. Ce réductionnisme scientifique est peu satisfaisant, mais l’opinion publique, éblouie par les succès médicaux passés, ne voit pas la forêt de facteurs qui se cache derrière le facteur unique ainsi mis en lumière. En évinçant la science, cet enthousiasme populaire ouvre la porte aux excès.

Dans le même temps, les objectifs à court-terme de la médecine ont changé de nature. La pilule répond à une exigence immédiate, mais elle laisse les femmes atteindre dangereusement l’âge de l’infécondité. Les césariennes et déclenchements d’accouchement atteignent un nombre qui outrepasse les nécessités de court-terme et induisent de multiples pathologies à long terme pour la mère et l’enfant. La réussite d’une FIV est un succès immédiat qui néglige les pathologies qui en découlent. Les succès à court-terme sur les très grandes prématurités sont pourvoyeurs de pathologies à long terme. La pharmacologie préventive apparaît souvent plus nuisible qu’utile à long terme, sans compter ses risques à court-terme. Le dépistage généralisé fait difficilement la preuve de son efficacité à long terme, tout en induisant une morbidité vécue à court terme. La liste est longue de ces nouvelles actions médicales où la preuve à court-terme, souvent illusoire, perturbe l’analyse des preuves à long terme.

Nous pouvons encore espérer que la médecine améliore un peu notre quantité-qualité de vie, mais pour la sérénité que la preuve exige, il faudrait pouvoir contenir l’enthousiasme naïf des patients pour le long terme et l’obsession structurelle des médecins pour le court-terme.

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Le patient, la pertinence des contrôles médicaux, et l’angoisse des résultats

Des dépistages inutiles aux dépistages dangereux

Publié par Luc Perino, médecin généraliste, humeur du 04/01/2018

La controverse sur les dépistages organisés des cancers ne cesse d’enfler. Après la prostate, voici le sein dont le dépistage de masse vient d’être définitivement mis à mal. Les administrateurs eux-mêmes estiment que son dépistage organisé sera abandonné dans 10 ans : le temps qu’il faut au ministère pour préparer l’opinion sans être accusé d’abandonner les femmes. Tous les efforts se reportent actuellement sur le dépistage du cancer du côlon, riche de promesses, et encore trop récent pour être correctement évalué.

Ici, notre propos concerne le cancer du poumon, pour lequel d’aucuns évoquent parfois subrepticement l’éventualité d’un dépistage organisé. Anachronique ténacité, puisque pour ce cancer-là, nous avons déjà suffisamment de preuves pour affirmer que son dépistage serait non seulement inefficace, mais probablement dangereux.

Tout dépistage de cancer infraclinique perd de sa pertinence au fur et à mesure que le traitement du cancer clinique s’améliore. Dans le cas du poumon, les progrès thérapeutiques chirurgicaux et médicaux ont permis de faire passer la médiane de survie de 6 mois en 1976, à presque 3 ans aujourd’hui ; ce qui, en cancérologie, est un résultat extraordinaire.

Les scanners thoraciques, de plus en plus fréquents dans nos pays, découvrent des milliers de nodules pulmonaires dont la plupart sont des incidentalomes, mais ces « riens » nécessitent trois ans de surveillance avant de pouvoir affirmer leur bénignité. De plus, les méthodes actuelles révèlent 15% à 35% de faux positifs et 25% de cancers à évolution nulle ou lente : soit 40 à 60% de diagnostics erronés ou inutiles !

La probabilité de découvrir un vrai cancer asymptomatique et évolutif (seul bénéfice théorique du dépistage) est de 6% après 80 ans, et seulement de 0,5% avant 60 ans ! En outre, plus le dépistage est fait chez une personne jeune, plus grande est la probabilité de mourir d’une autre cause : 37% des plus de 85 ans et 98% des moins de 60 ans ne mourront pas de leur cancer du poumon!

Ajoutons que les personnes ayant connaissance de leur cancer du poumon ont un taux de suicide cinq fois plus élevé, avec un pic juste après l’annonce du diagnostic (vrai ou faux). Encore plus surprenant, le stress de cette annonce multiplie par 12 le risque de mort cardio-vasculaire dans la semaine qui suit….

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Diagnostiquer rapidement, correctement, et prescrire le bon système de soins pour le patient

Inaptitude chronique au diagnostic

Publié par Luc Perino, médecin généraliste, humeur du 07/02/2018

Lorsque, dans un grand média, un article fait le point sur une maladie, il commence immanquablement par dire que cette maladie est sous-diagnostiquée. Elle serait en réalité bien plus fréquente qu’on ne le croit, et les coupables tout désignés de ce sous-diagnostic sont les généralistes puisqu’ils sont en première ligne.

Les omnipraticiens ont donc une incapacité chronique à porter des diagnostics. Et cela est fort dommageable, car une fois qu’ils ont porté un diagnostic, ils peuvent faire entrer le patient dans un système de soins où il sera alors correctement pris en charge. Et si cette prise en charge du patient par divers spécialistes s’avère peu efficace, il faudra en conclure que c’est à cause du retard diagnostique. On peut toujours affirmer qu’un diagnostic plus précoce aurait permis la guérison, car cela est conforme à l’intuition. En toute logique, si tous les diagnostics possibles avaient été posés assez tôt, la vie serait éternelle…

Pauvres généralistes, après notre incapacité à diagnostiquer le diabète, l’impuissance, la dépression, le syndrome des jambes sans repos, la migraine, les névralgies, ils deviennent inaptes à diagnostiquer la fibromyalgie, les insomnies, les cancers, la DMLA, la surdité et la maladie d’Alzheimer. Toutes ces pathologies anciennes ou modernes ont chacune à leur tour, la particularité de faire l’objet d’un relookage, d’un changement de dénomination ou d’un nouvel intérêt médiatique au moment ou un laboratoire est dans la phase pré-marketing d’un médicament ou d’un test dont l’indication est précisément l’une d’entre elles.

La grossièreté de ces manœuvres arrive rarement à la conscience claire du grand public. Il est grand temps que les acteurs de la santé et les médias s’interrogent sur la productivité sanitaire de ce genre de dénigrement systématique du généraliste.

Dans mon schéma de pensée traditionnel (peut-être désuet), le rôle des médecins est de définir les pathologies et de porter les diagnostics, quant au rôle de l’industrie, il est de fournir les médicaments que les praticiens sollicitent et espèrent. Il est surprenant qu’un laboratoire fasse une étude sur les conditions de diagnostic d’une maladie et qu’il détermine lui-même les bonnes ou mauvaises façons de porter ce diagnostic. Comment l’Université peut-elle rester aussi inerte devant cette inversion des rôles de chacun ? Peut-être que l’université, elle non plus, n’arrive pas à faire les diagnostics assez tôt !

Par ailleurs, toutes les autorités s’alarment du manque d’omnipraticiens et de la désertification médicale. Mon expertise de clinicien m’incite à faire un lien entre l’augmentation du dénigrement de la médecine générale et la diminution du nombre de ses gérants…

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